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Une fille avec un livre
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14 décembre 2015

Boualem Sansal, 2084, la fin du monde

Ce titre est pour moi LE coup de coeur de l'année 2015, même si celle-ci n'est pas encore terminée. A mes yeux, ce livre, aurait du recevoir le Goncourt de cette année. Je précise que je l'ai lu avant les attentats de novembre, et que je le conseillais déjà avec ferveur et parfois emportement. Ce livre est maintenant encore plus d'actualité. Je n'ai donc que deux mots à vous dire: LISEZ-LE.

sansal

 

 

En 1949, Georges Orwell imaginait ce que serait le monde de 1984. Big-Brother contrôlait une société monde, cette société s’appelait l’Angsog, avec une langue unique, le Novlang. 1984 est maintenant derrière nous, mais que sera le monde un siècle plus tard, en 2084, à la lumière de ce qui se passe aujourd’hui au Proche et au Moyen-Orient en particulier?

Boulem Sansal fait froid dans le dos. Il imagine une théocratie, qui dirige un état-monde : l’Abistan. Et si c’est un état-monde, il ne devrait plus y avoir de frontière. Et pourtant… Que cache-t-on aux habitants et particulièrement à notre personnage, qui ne cesse de s’interroger : « Qu’est-ce que la frontière, bon sang, qu’y a-t-il de l’autre côté ? »

Que cache-t-on au peuple, comment le manipuler ?

L’Abistan est noyauté par la religion qui contrôle tout et impose de croire (en Abi uniquement, cela va de soi). Mais qui est Abi ? Un big-brother du XXie siècle, « un œil magique pointu comme un diamant, doté d’une conscience capable de perforer le blindage ». Un homme que personne n’a jamais vu ? Une pensée, un postulat ?

Comment souder un peuple ? En le soudant avec une langue commune, l’abilang (comparable sur le principe au novlang de 1984), autour d’un ennemi, l’Ennemi, terrifiant parce que non défini, non identifié. Et pour embrigader, il faut manipuler, réécrire l’Histoire, corriger si besoin (touh=jours une passerelle vers Orwell).

Ce roman futuriste est magistralement écrit, avec un travail pointu sur la langue française, et tout au long, on retrouve l’ironie mordante de l’auteur qui permet d’apporter un éclairage  particulier sur cette religion extrémiste qui a pris le pouvoir.

L’analyse de cette société imaginaire apporte un éclairage terrifiant sur les risques de dérives de la société musulmane d’aujourd’hui quand les extrémistes prennent le pouvoir. Mais les hommes restent … des hommes. Malgré la religion qui verrouille tout, les intrigues et l’hypocrisie du pouvoir prennent le dessus, avec tout ce que cela implique de manipulation. « Il espérait tout à la fois abattre Dia, réduire Hoc, ruiner son fils Kil, accabler le vieux patriarche Duc de soucis vénéneux pour l’achever et accélérer la succession au profit de l’oncle Bri, et un jour prochain de lui-même ».

J’ai ouvert le deuxième paragraphe en disant que ce roman faisant froid dans le dos car il n’est pas déconnecté de notre présent. Il prend au contraire ses racines dans nos XX e et XXIe siècles, comme le montre l’analyse de l’évolution de cette société, et les références aux conflits vécus par les occidentaux depuis la première guerre mondiale. « Tout était visible de chez prévisible mais ceux qui disaient ‘’Jamais ça’’ et ceux qui répétaient ‘’Plus jamais ça’’ n’étaient pas entendus. Comme en 14, comme en 39, comme en 2014, 2022 et 2050, c’était reparti. Cette fois, en 2084, c’était la bonne. L’ancien monde avait cessé d’existé et le nouveau, l’Abistan, ouvrait son règne éternel sur la planète ».

2084 est un roman clairement sous influence, un très bel hommage à l’œuvre d’Orwell, une continuité littéraire. Il a été récompensé par le prix de l’Académie française, bien mérité, mais je regrette qu’il ait été éjecté de la liste du Goncourt juste avant le dernier tour, il l’aurait aussi amplement mérité.

Citations :

« On l’appelait l’Ennemi, avec un accent majuscule dans l’intonation, cela suffisait. On croit se souvenir qu’un jour il a été annoncé qu’il était mal de le nommer autrement, et cela avait paru légitime et si évident, il y a sensément aucune raison de mettre un nom sur une chose que personne n’a vu ».

« Quel meilleur moyen que l’espoir et le merveilleux pour enchainer les peuples à leurs croyances, car qui croit à peur, et qui a peur croit aveuglément. »

« Ce que son esprit rejetait, ce n’est pas tant la religion, que l’écrasement de l’homme par la religion ».

 

 

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